Dans l’article précédent, je me suis intéressée aux fêtes automnales antiques : Samain, l’October equus, les Pyanopsia, les offrandes à Odin. Ces célébrations ont disparu dans les premiers siècles de notre ère, mais des rites s’en sont inspirés et ont été pratiqués jusqu’au XXe siècle pour aboutir aux fêtes que nous connaissons aujourd’hui.
En quoi ces fêtes sont-elles un héritage des rites antiques ?
LES FÊTES ACTUELLES
La mémoire des disparus
La Toussaint et le Jour des Morts
La Toussaint est une fête catholique instituée par le pape Grégoire IV au IXe siècle. Elle honore tous les saints, canonisés mais aussi béatifiés, par le biais de messes.
Elle débute le 31 octobre au soir et se poursuit le 1er novembre, ce qui n’est pas sans rappeler la célébration celte de Samain* (voir l’article précédent).
La Toussaint fait suite à la fête des martyrs qui était célébrée le dimanche après la Pentecôte depuis le IVe siècle dans l’Empire romain d’Orient et le Ve siècle dans l’Empire romain d’Occident (et qui s’inspirait d’un rite similaire juif). Mais plus anciennement, elle s’inspire probablement des lemuria romaines, célébrées au mois de mai (date initiale de la fête des martyrs), qui visent à apaiser les lémures, les esprits qui n’ont pas trouvé la paix.
La Toussaint est donc un mélange de différents usages plus anciens, comme bon nombre de fêtes catholiques.
À la fin du Xe siècle, les moines de Cluny commencent à célébrer également le Jour des Morts, qui commémore tous les défunts le 2 novembre, à la suite de la Toussaint. Cette pratique est progressivement reprise dans la chrétienté et elle est officialisée par le pape au XIIIe siècle. Elle vise à délivrer ou à soulager les âmes des défunts présentes au Purgatoire.
Cette chronologie catholique rappelle celle de Samain*, avec un premier jour dédié aux personnages illustres de la chrétienté et un deuxième jour consacré à l’ensemble des défunts.
Nos ancêtres ont beaucoup fêté la Toussaint et le Jour des Morts, par des messes mais aussi en se rendant auprès des tombes des défunts pour les entretenir et honorer les disparus. C’était une sortie familiale, et même communautaire, qui rassemblait les habitants d’un village.
- Jean Chelini, Le calendrier chrétien : cadre de notre identité culturelle, Picard, Paris,2007
- François LEBRUN (dir.), Histoire des catholiques en France du XVe siècle à nos jours, Privat, Toulouse, 1980
Halloween
Halloween est une fête pratiquée dans les pays anglo-saxons et popularisée surtout aux Etats-Unis et au Canada, où elle a été importée par les Irlandais au XIXe siècle. Son nom vient de l’anglais All Hallows Eve, la veille de la Toussaint, soirée pendant laquelle des anciennes traditions celtiques continuent à être pratiquées au Royaume-Uni, en Irlande et en Bretagne jusqu’au XXe siècle. Les Irlandais la célèbrent en Amérique où elle devient populaire et commerciale au cours du XXe siècle.
Les citrouilles d’Halloween s’inspirent en particulier du personnage de conte irlandais Jack o’lantern, mais reprennent des éléments divers : les lanternes anglo-saxonnes creusées à l’origine dans des navets, des betteraves et des rutabagas, probablement inspirées de Samain, et une thématique chrétienne (Jack se joue du diable à deux reprises). Les déguisements sont également inspirés de pratiques locales qui visaient à se confondre avec les esprits, tandis que les bonbons reçus par les enfants peuvent être une évolution des présents laissés à table pour les morts lors de Samain.
- Nicholas Rogers, Halloween : From Pagan Ritual to Party Night, Oxford University Press, 2003
Les fêtes des lanternes alémaniques
Dans les régions germaniques, notamment dans l’est de la France, en Allemagne, en Belgique et en Suisse alémanique, a également perduré l’usage de creuser des lumières dans les légumes d’automne. Ces pratiques s’inspirent également de la fête celte de Samain, mais aussi des anciennes croyances germaniques sur les disparus :
- En Moselle (pays de Nied) et dans le Land de Sarre : lors de la Rommelbootzennaat(nuit des betteraves grimaçantes), la veille de la Toussaint, les enfants sculptent des têtes grimaçantes dans des betteraves, dont la récolte marque la fin des travaux agraires. Elles sont disposées sur les rebords de fenêtres, les puits ou les murs des cimetières pour effrayer les passants.
- En Suisse alémanique : pendant la Räbeliechtli (la petite lumière de la betterave), on creuse des lanternes dans des raves.
- En Allemagne, en Autriche et en Suisse alémanique : la même pratique a lieu lors de la Rübengeistern (les esprits de betteraves) en creusant des lanternes dans des betteraves.
La fête de la châtaigne
La fête de la châtaigne est une fête à l’origine funéraire pratiquée dans plusieurs régions hispaniques : en Catalogne (Castanyada), en Galice (Magosto), en Cantabrie (Magosta), aux Asturies (Magüestu) et au Portugal (Magusto).
Elle provient d’une tradition médiévale du 31 octobre, où les familles partaient ramasser châtaignes, patates douces et bois pour le feu, afin de les déguster le soir en rendant hommage à leurs proches disparus, après avoir sonné les cloches de leur commune.
Aujourd’hui, il en est resté la pratique d’un repas convivial, la vente de châtaignes dans la rue, et l’organisation de tombolas. Au Portugal, les châtaignes sont grillées lors de feux de joie.
La clôture des récoltes
Les fêtes des récoltes sont également restées populaires à l’automne, bien qu’elles aient une portée plus locale. Il en existe dans de nombreux pays, dont voici quelques exemples.
Thanksgiving
La fête des récoltes la plus connue dans le monde est probablement Thanksgiving (Action de grâce), fêtée aux Etats-Unis et au Canada notamment.
Célébrée le deuxième lundi d’octobre au Canada et le quatrième jeudi de novembre aux Etats-Unis, elle rend grâce à Dieu pour les récoltes et pour l’année écoulée.
Les premiers jours de remerciement sont institués en Angleterre sous Henri VIII, par la religion anglicane. Une fête annuelle de remerciement est créée en 1605 après l’échec du Complot des poudres (Gunpowder plot) : le Guy Fawkes day, célébré depuis tous les 5 novembre.
Au XVIIe siècle, les colons anglais, mais aussi irlandais et écossais, perpétuent cette tradition à leur arrivée en Amérique. En Virginie, par exemple, à Berkeley Hundred, les colons célèbrent dès 1619, chaque année, le jour de leur arrivée. À Plymouth, l’action de grâce de 1621 célèbre la bonne récolte de l’année en compagnie des Amérindiens, qui avaient partagé leur nourriture avec les colons lors de l’hiver précédent. De nombreuses actions de grâce sont proclamées au XVIIe siècle, si bien qu’il est impossible de déterminer la date exacte de la première.
Le 26 novembre 1789, le président George Washington proclame la première action de grâce à l’échelle du pays. Pour le Canada, la première initiative nationale est proclamée en 1872. La date actuelle est fixée depuis le milieu du XXe siècle.
Aujourd’hui, Thanksgiving est l’occasion pour les nord-Américains de se retrouver entre amis ou en famille autour d’un repas commun. Beaucoup d’Américains profitent également de Thanksgiving pour donner du temps aux autres. Cette fête suit la continuité des fêtes des récoltes antiques et des jours de remerciement britanniques.
La fête de la bière
L’Oktoberfest est un festival folklorique organisé à Munich, en Bavière, vers mi-septembre. Il dure entre 16 et 18 jours. Il est organisé depuis 1810, à l’origine pour célébrer le mariage du futur roi Louis de Bavière, mais dès 1811 comme fête de la bière.
Une course de chevaux est organisée ainsi que des spectacles, un défilé en costumes traditionnels, des jeux et des épreuves sportives. La course de chevaux peut rappeler l’October equus* romain, tandis que les défilés et les jeux se retrouvent dans de nombreuses fêtes des récoltes européennes.
Depuis la fin du XIXe siècle, elle est devenue une fête foraine avec des tentes tenues par les brasseries munichoises, des dégustations de bière, de la musique et des attractions. Un défilé costumé et l’ouverture du premier tonneau de bière inaugure la fête. Elle attire aujourd’hui environ six millions de visiteurs.
D’autres fêtes de la bière, moins touristiques, sont organisées en automne en Allemagne, notamment l’Oktoberfest de Hanovre et la Cannstatter Volksfest de Stuttgart.
La Bénichon
En Suisse romande, dans le canton de Fribourg, est organisée en septembre ou octobre, la fête des récoltes et de la désalpe. Elle se déroule à une date fluctuante selon les lieux, mais le plus souvent le 2ème week-end de septembre pour la Bénichon de la Plaine et le 2ème week-end d’octobre pour la Bénichon de la Montagne.
Elle vient à l’origine de la bénission, la fête patronale qui a lieu dans chaque paroisse depuis le XVe siècle. Elle célèbre le saint patron mais aussi la consécration de l’église paroissiale.
Elle est accompagnée d’une fête profane qui se déroule sur 3 jours, avec un grand repas, des jeux et un bal. Au XVIIIe siècle, une seule date est fixée pour toutes les célébrations, puis deux dates à partir de 1889.
La Bénichon est l’occasion de marquer la fin des récoltes, la descente d’alpage des troupeaux et des armaillis et la fin de la fabrication du fromage. C’est à cette occasion que les armaillis sont payés et qu’ils retrouvent leurs proches.
Elle est aujourd’hui célébrée dans le canton de Fribourg mais les fêtes patronales automnales se sont maintenues dans les cantons de Soleure, de Lucerne, de Saint-Gall et de Thurgovie. On pourrait rapprocher ces fêtes des fêtes d’automne germaniques, avec leurs jeux et leurs cortèges.
Par cet article, j’espère avoir pu démontrer que nos fêtes automnales actuelles sont héritées des anciens rites antiques et des fêtes qui en ont découlé, et qui ont été célébrées pendant des siècles. On pourrait dire la même chose de nombreuses fêtes comme Noël, la Saint-Jean, les fêtes printanières…
Un article très bien documenté (comme son prédécesseur), où l’on apprend plein de choses. Bravo !
Merci !