Cela n’est plus autant le cas aujourd’hui, mais au XIXe siècle, la Suisse est une importante terre d’émigration. J’ai déjà évoqué l’émigration suisse vers la France (voir cet article). Mais aujourd’hui, j’ai voulu parler de la forte émigration des Suisses vers l’Amérique.
L’émigration suisse au XIXe siècle
On estime que plus de 500 000 suisses émigrent entre 1815 et 1914. Le pays compte 2 millions d’habitants au début du siècle et plus de 3 millions d’habitants vers 1900.
Les principales raisons de ce mouvement de population sont la paupérisation des paysans, la forte croissance démographique et les crises agricoles et industrielles qui jalonnent le siècle. Les émigrés cherchent alors à retrouver une terre à exploiter, notamment en Amérique. Cette émigration remplace peu à peu l’émigration militaire qui prévalait depuis le XVIe siècle.
Il s’agit d’une véritable émigration de peuplement, encouragée par les autorités américaines qui cherchent à peupler et à exploiter leurs terres agricoles.
Les émigrés suisses partent le plus souvent en famille, contrairement aux émigrés du sud de l’Europe qui partent seuls.
En plus des émigrés volontaires qui cherchent une vie meilleure, les autorités américaines dénoncent l’existence d’une émigration « de débarras » : les communes payeraient les indigents et les prisonniers de droit commun afin qu’ils quittent le pays.
L’émigration devient rapidement une activité lucrative et à partir des années 1850, des agences d’émigration sont créées. Elles proposent des forfaits pour le transport vers le port d’émigration, l’hébergement et la traversée. Elles sont aussi accusées de profiter de la pauvreté et de l’ignorance des émigrés.
La traversée de l’Atlantique est une épreuve jusqu’aux années 1880. Outre la longueur de la traversée (en moyenne 44 jours en 1867, en bateau à voile du Nord de l’Europe à New York), les émigrés peuvent être confrontés aux épidémies, notamment le scorbut, la varicelle, la petite vérole et le choléra, voire aux naufrages.
À partir des années 1880, le bateau à vapeur réduit considérablement le voyage (10 jours à partir du nord de l’Europe) et donc les risques.
L’Amérique du Nord
L’Amérique du Nord accueille la majorité des émigrés suisses, qui partent des ports de Hambourg ou du Havre. Ils débarquent à New York et sont enregistrés à la station d’immigration de Castle Garden puis, à partir des années 1890, au centre d’accueil pour immigrés d’Ellis Island.
Ils se rendent ensuite principalement à l’Ouest, dans les États de grandes prairies qui offrent des terres gratuites aux colons qui s’engagent à y rester pendant 3 ans, afin de développer l’agriculture.
À partir des années 1880, les émigrés suisses parviennent plus difficilement à acquérir des terres et se rendent plus qu’avant dans les grandes villes de l’Est (notamment à New York, en Pennsylvanie et dans l’Ohio).
Les Suisses fondent entre 3’000 et 5’000 colonies selon les chiffres, dont Nouvelle Vevay (aujourd’hui New Vevay) et Tell City dans l’Indiana, New Switzerland dans l’Illinois, et New Glarus dans le Wisconsin. Dans tous les États-Unis, il existe 36 Genève et 52 Berne, sous des orthographes diverses (Geneva et New Bern, par exemple).
Les cantons suisses parmi lesquels la plus grande majorité d’émigrés partent vers les États-Unis sont les cantons de Schwytz et d’Uri (ils représentent plus de 90% des émigrés), tandis que ceux qui s’y rendent le moins sont les cantons romands de Genève, de Vaud, du Valais et de Fribourg (moins de 60%).
L’Amérique du Sud
L’émigration vers l’Amérique du Sud concerne d’abord principalement les Suisses romands. Elle débute en 1819, après une série de mauvaises récoltes. Cette année-là, 2’006 Suisses embarquent pour le Brésil, parmi lesquels 830 Fribourgeois (soit 41%).
Le canton de Fribourg a en effet signé un traité de colonisation avec les autorités brésiliennes, qui sont sous administration coloniale portugaise. Les émigrés jouissent de bonnes conditions de départ puisqu’ils reçoivent une indemnité, des terres, du bétail et la possibilité de posséder des esclaves. En échange, ils doivent être catholiques, jurer fidélité au roi du Portugal et prendre la nationalité portugaise.
En décembre 1819, 5 mois après leur départ de Suisse, ils fondent la colonie de Nova Friburgo. Cette première émigration sera cependant difficile puisque le sol y est ingrat. Quelques colons restent à Nova Friburgo, mais de nombreux autres quittent la colonie pour exploiter des exploitations de café et fonder des colonies dans ces régions plus accueillantes. Certains enfin rejoignent les villes ou s’engagent dans l’armée.
L’émigration suisse vers l’Amérique du Sud se poursuit tout au long du XIXe siècle et des colonies suisses sont fondées au Brésil mais aussi en Argentine (par exemple Esperanza, Baradero ou la Colonia Suiza), en Uruguay (comme Nueva Helvecia et Nouvelle Berne) et au Paraguay.
Les Suisses les plus pauvres servent également de main d’œuvre bon marché dans les exploitations de café, car la traite des Noirs est de plus en plus difficile et chère. Ils sont alors endettés à vie et mal logés.
Si les premiers colons suisses en Amérique du Sud sont principalement issus des cantons romands, ils se font peu à peu rattraper par les émigrés originaires des cantons de Zurich, de Berne, d’Argovie et de Thurgovie. En Argentine, la majorité des émigrés sont d’origine valaisanne.
Quelques pistes de recherche
Si vous recherchez un individu qui a émigré en Amérique au XIXe siècle, plusieurs pistes s’offrent à vous.
Les archives cantonales
Aux archives cantonales, vous pouvez consulter les listes des absents, établies à partir du début du XVIIIe siècle, et les registres des passeports. Les Fribourgeois qui ont émigré à Nova Friburgo font partie d’un fonds spécial aux Archives de l’État de Fribourg.
Les Archives fédérales
Il est possible de consulter les archives de l’Office fédéral de l’émigration créé en 1888, qui surveillait l’activité des agences d’émigration.
À l’étranger
Les consulats et les ambassades suisses à l’étranger ont tenu des registres d’inscription et ont fourni des cartes d’immatriculation aux colons. Dans certains cas particuliers, des dossiers personnels ont également été ouverts.
Les bases en ligne
Enfin, on peut également se tourner vers la base en ligne de la Compagnie générale transatlantique pour les émigrés au départ de la France, mais également les bases de données des centres d’accueil de Castle Garden et d’Ellis Island pour les émigrés qui ont débarqué aux États-Unis.
Sources
ARLETTAZ Gérald, « La Suisse, terre d’émigration et d’immigration », Panorama, 2000, n°6, p. 21-22
ARLETTAZ Gérald, « L’intégration des émigrants suisses aux États-Unis », Relations internationales, 1977, n°12, p. 307-325 (lien)
BECHTEL Dale, « Ces Suisses qui ont peuplé l’Amérique », Swissinfo, 2009 (lien)
HEAD-KÖNIG, « Émigration », Dictionnaire historique de la Suisse, 2007
LORENZINI Kaarina, « Aspects de l’Émigration et de la Colonisation suisses en Argentine au XIXème siècle (Résumé) », Notre Histoire, consulté le 10/03/2018 (lien)
PERRENOUD Marc, « Colonies suisses », Dictionnaire historique de la Suisse, 2011 (lien)
« 1819 : première émigration pour le Brésil », Plateforme Émigration Valais Vallesiana, consulté le 10/03/2018
« La saga de l’histoire des Suisses au Brésil », Association Fribourg Nova Friburgo, consulté le 10/03/2018
« De l’émigration à l’immigration. Vivre entre deux mondes, 1803-2003 », textes de l’exposition « Vivre entre deux mondes » du 13 juin au 02 novembre 2003, Musée historique de Lausanne, consulté le 10/03/2018 (lien)
Image d’illustration :
Les paysages actuels autour de Nova Friburgo au Brésil, Thomas Brasey.
Photos de l’exposition « Nova Vida Brésil-Portugal », exposée au Musée gruérien du 16 décembre au 15 avril 2018. Musée gruérien, Bulle (lien)
Bonjour et bravo pour cet article
Sur notre site, 5 % des passagers saisis à ce jour sont originaires de Suisse.
Le travail est encore énorme affaire à suivre ! Bonne journée LDH
Bonjour,
En lien avec votre chronique, permettez-moi de vous renvoyer à mon article « Pierre Miville, Jacob Bettex et lignées ADNy : sur la piste génétique de souches romandes du Québec », paru dans la RVGHF 2016.
Votre chronique couvre une bonne partie des Amériques, mais omet son plus grand pays, le Canada! Or l’ancêtre suisse sans aucun doute le plus prolifique de tous, Pierre Miville, se trouve à la source de pas moins de 5 millions de Québécois, et plus du double si l’ensemble du continent est considéré. Miville possède son entrée au DHS, bien que plusieurs données y soient erronées (voir mon article!).
Votre blog est de consultation très agréable.
PGH
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