Des sorcières à Fribourg ?

En ce jour d’Halloween, j’ai choisi de vous parler de sorcellerie. Dès le XIVe siècle, l’Europe a connu quelques procès pour sorcellerie instaurés par l’Église. Mais à partir du XVe siècle, la « chasse aux sorcières » s’est développée et s’est institutionnalisée. Les autorités politiques ont pu initier elles-mêmes des procès pour sorcellerie.

La Suisse et le canton de Fribourg n’ont pas échappé à ce phénomène, qui a touché tant les États catholiques que protestants, notamment en Europe centrale et occidentale (France, Suisse, Saint-Empire romain germanique, Pays-Bas).

Les procès pour sorcellerie à Fribourg

Entre le XVe et le XVIIIe siècle, l’État de Fribourg a mené environ 500 procès pour sorcellerie. Environ 300 se sont soldés par des condamnations à la peine de mort puis au bûcher. Cela dit, les cantons suisses qui ont mené le plus de procès ont été les cantons de Vaud et des Grisons. Les estimations parlent de 5’000 à 10’000 procès en Suisse selon les sources, et d’environ 100’000 procès dans toute l’Europe.

La première mention d’un procès fribourgeois date de 1429. Il s’agit de l’un des premiers procès initié par les autorités laïques, après le Dauphiné (1420) et le Valais (1428).

C’est à la fin du XVe siècle que la chasse aux sorcières s’est organisée en Europe. Le pape Innocent VIII publia en 1484 la bulle Summis desiderantes affectibus, qui approuvait la chasse aux sorciers. Vers 1486, les inquisiteurs allemands Jacob Sprenger et Heinrich Kramer ont publié le Malleus Maleficarum (le Marteau des Sorcières) sur la sorcellerie et la manière d’organiser l’inquisition. Cet ouvrage servira de base à la chasse aux sorcières dans toute l’Europe et sera réédité au moins 34 fois jusqu’à la fin du XVIIe siècle.

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Couverture du Malleus Maleficarum, édition de 1669. Wikipédia

Contrairement à la plupart des autres territoires européens, la présence d’inquisiteurs religieux n’était pas nécessaire à Fribourg. Ce n’est que pendant les premières décennies que l’on note la présence de dominicains. Ces religieux possédaient un tribunal de l’Inquisition à Lausanne et intervenaient dans toute la Suisse romande.

Au début de la chasse aux sorcières, autant d’hommes que de femmes étaient poursuivis pour sorcellerie. A l’époque moderne, en revanche, les femmes ont été davantage suspectées. Le Malleus Maleficarum expliquait que les femmes étaient plus promptes à succomber aux tentations.

Les victimes de procès pour sorcelleries étaient des personnes sans pouvoir, en position de faiblesse, socialement isolées, et qui attiraient les suspicions villageoises. Dans certains cas, on peut estimer qu’il s’agissait d’une rivalité entre familles.

 

La question (torture) était utilisée dans la plupart des cas. Lorsque la victime y succombait, ou manquait d’y succomber, on mentionnait le Diable qui voulait l’empêcher de parler. Les moyens de torture étaient nombreux et très diversifiés.

Lorsqu’une personne était condamnée pour sorcellerie, cela rendait suspecte toute sa famille. Des enfants étaient parfois interrogés, torturés et pouvaient être condamnés à mort.

Globalement, en Europe, les procès pour sorcellerie ont pris fin à la fin du XVIIe siècle. En France, un édit royal a décriminalisé la sorcellerie dès 1682, qui y est qualifiée de « prétendue magie ».

Dans le canton de Fribourg, n revanche, les procès continuent jusqu’en 1731. En Suisse, la dernière sorcière condamnée sera Anna Göldin en 1782.

Catherine REPOND, la dernière sorcière fribourgeoise

En septembre 1731, sur la colline du Guintzet à Fribourg, a eu lieu la dernière exécution pour sorcellerie du canton. Elle concernait Catherine REPOND, surnommée la Catillon, une mendiante originaire de la Gruyère.

Catherine REPOND a été baptisée le 18/08/1663 à Villarvolard. Elle était la fille de Sulpice Noé REPOND et de Catherine REPOND. Au cours de sa vie, elle n’a jamais été mariée et n’a jamais eu d’enfants. Elle vécut avec sa sœur cadette Marguerite, née en 1665.

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Acte de baptême de Catherine REPOND, 18/08/1663, Villarvolard. Archives de l’Etat de Fribourg

« 18. Augusti 1663
Catherina, filia legitima Sulpitii Noë Repond et Catharinae
Repond, levantibus Catharina Repond et Petro Gillerd,
omnibus Willarvolentibus, rite baptizata est. »

En 1731, Catherine était âgée de 67 ans. Elle mendiait dans les villages proches de Villarvolard et dans les alpages. Elle fut interrogée une première fois le 14/04/1731 au château de Corbières par le bailli, Béat Nicolas de MONTENACH, représentant de l’autorité fribourgeoise. Il la questionna sur sa blessure au pied, survenue quelques mois plus tôt.

En 1730, trois ou quatre jours avant la Toussaint, elle mendiait près de Villargiroud, et a trouvé refuge chez la famille PURRO (ou à proximité). Elle dit s’être réveillée un matin détroussée et avec les orteils d’un pied coupés.

Le bailli interrogea dix témoins, tous originaires de Corbières. Leur récit nous en apprend un peu plus sur Catillon et sur la façon dont elle était perçue par les villageois. Tous ont dit que Catherine mendiait dans les alpages, y compris le dimanche au lieu d’aller à la messe. Lorsqu’on lui refusait l’aumône, elle maudissait l’alpage. Et en 1726 en effet, un fromager qui lui avait refusé l’aumône ne put fabriquer du fromage, bien qu’il ait pris soin de faire bénir son chaudron et son chalet.

Le procès dura jusqu’au 05/07/1731, avec six interrogatoires. A partir du troisième, le 13/06/1731, on utilisa la torture, car Catherine rejetait toute accusation de sorcellerie. Le bailli lui fit admettre qu’il l’avait lui-même blessée au pied lors d’une partie de chasse, alors qu’elle lui était apparue sous la forme d’un renard ou d’un lapin. Elle avoua aussi avoir participé une cinquantaine de fois à la secte, et dénonça plusieurs complices.

Pendant son procès, des patriciens (et surtout des patriciennes) ont dit être ensorcelés par Catillon. C’est probablement pour cette raison que Catherine fut emmenée à Fribourg pour un second procès.

Le procès de Fribourg fut plus intense encore. Il dura du 13/07 au 15/09/1731, avec au moins sept interrogatoires et plusieurs autres témoignages. La torture fut également appliquée afin qu’elle dénonce ses complices. Elle cita notamment sa sœur Marguerite et l’une de leurs connaissances, Jacques BOUQUET. Celui-ci fut arrêté mais il fut relâché dès le 03/09. Catherine, quant à elle, fut condamnée à mort le 15/09/1731 et exécutée le jour-même.

Sa sœur se mit probablement en fuite. Elle fut arrêtée à la fin de l’année 1731 mais elle n’avoua rien, même sous la torture. Elle ne put donc pas être condamnée à mort mais elle fut bannie du territoire fribourgeois pendant 15 ans. On la revit en 1741. Elle fut donc arrêtée et emprisonnée à Fribourg, malgré ses 76 ans, et décéda en prison.

La légende de Catillon

Au XIXe siècle, la dernière sorcière fribourgeoise connut une certaine popularité et sa légende se développa. On raconta qu’elle maitrisait les éléments. Elle aurait notamment fait rouler une pierre le long du Moléson. Celle-ci emporta tout sur son passage, et notamment un troupeau de vaches. La « pierre à Catillon » est toujours visible aujourd’hui.

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La pierre à Catillon, visible sur au bord du parking du Moléson. 20 minutes

En 2009, une motion fut présentée devant le Grand Conseil fribourgeois afin de réhabiliter Catherine REPOND. Elle faisait suite à la réhabilitation d’Anna Göldin par le canton de Glaris. Le Grand Conseil accepta de réhabiliter moralement Catherine REPOND, mais pas juridiquement, estimant qu’il était impossible de prendre une responsabilité pour les erreurs judiciaires de l’Ancien Régime.

Une place à son nom fut inaugurée en 2010 sur la colline du Guintzet, l’ancien lieu d’exécution de Fribourg.

Les hypothèses autour des raisons des procès contre Catherine REPOND sont encore nombreuses. Elle a pu attiser les méfiances, en vivant seule avec sa sœur, en mendiant de village en village et en marmonnant contre ceux qui lui refusaient l’aumône.

L’historienne Josiane Ferrari-Clément, dans son roman Catillon et les écus du Diable, défend l’hypothèse que Catherine REPOND aurait eu connaissance d’un trafic de faux monnayage dans lequel étaient impliqués plusieurs patriciens, dont le fameux Jacques BOUQUET.

Sources à consulter si vous avez un ancêtre jugé pour sorcellerie

Registres paroissiaux : baptêmes et mariages (pas de sépulture dans ces cas-là)

Fonds des baillages : détail des procès

 

Historiens spécialisés en Suisse romande

Juliana Almeida Brandao

Kathrin Utz Tremp

Martine Ostorero

Josianne Ferrari-Clément

Sources

Archives de l’Etat de Fribourg

Connaissez-vous… ? Catillon, une sorcière fribourgeoise (1663-1731), Kathrin Utz Tremp, Alexandre Dafflon (trad.), Fribourg, 2009

Dictionnaire historique de la Suisse : Sorcellerie, Ulrich Pfister, Kathrin Utz Tremp, 2014

Portail catholique suisse : La Suisse a brûlé dix fois plus de sorcières que la France, cent fois plus que l’Italie, Jacques Berset, 2012

Swissinfo : Il ne faisait pas bon être sorcière en Suisse, Isabelle Eichenberger, 2009

Gallica : Edit du Roy pour la punition de differents crimes, Paris, 1682

Wikipédia : Catherine Repond, Anna Göldin, Malleus Maleficarum

20 minutes: Le mythe de Catillon la sorcière, Cathy Macherel, 2010

2 commentaires

  1. Ping :Veille généalogique #13 : 21 octobre – 3 novembre 2016 – Le temps s'en mêle

  2. Bel article le sujet est original et passionnant.
    Je suppose que des personnes ayant des troubles psychiques ont pu être considérées comme des sorcières et condamnées ainsi. C’est terrible !

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