Les internés de guerre en Suisse : Jean Hyppolyte RONSIN

Jean Hyppolyte RONSIN est le fils de Lazare RONSIN et de Marie GUENYOT, des collatéraux que j’avais étudiés dans un précédent article. En relevant la naissance de leurs 14 enfants, j’ai découvert que Jean Hyppolyte s’est marié une première fois à Beatenberg, en Suisse, en 1917, avant de divorcer et de se remarier en 1938.

J’ai donc voulu en savoir plus sur ce mariage en Suisse, en pleine Première guerre mondiale, alors qu’il n’avait a priori aucun lien là-bas. J’ai découvert qu’il avait en fait été fait prisonnier par les Allemands puis interné en Suisse.

La famille de Jean Hyppolyte Joseph

Jean Hyppolyte RONSIN est né le 29/03/1889 à Munois, un hameau de Darcey en Côte-d’Or. Il est le 9ème des 14 enfants de Lazare RONSIN et de Marie GUENYOT. Son père, Lazare RONSIN, est le frère de mon arrière-arrière-grand-père Jean RONSIN.

Il grandit en Côte-d’Or, à Munois puis à Baigneux-les-Juifs.

Les parents et les grands-parents de Jean Hyppolyte RONSIN. Créé avec Publisher. Les Chroniques du Temps

La captivité en Allemagne

Jean Hyppolyte Joseph effectue son service militaire à partir de 1910. Comme tous les hommes aptes, il est mobilisé pour la Première guerre mondiale à partir du 01/08/1914. Le 21ème Régiment d’Infanterie, auquel il appartient, est envoyé combattre dans les Vosges, à la frontière avec le Reichsland de la Moselle (territoire allemand depuis 1871).

Le 24/08/1914, lors d’une offensive qui dure depuis plusieurs jours, Jean Hyppolyte Joseph est fait prisonnier à Celles, des suites d’une blessure par balle à l’épaule gauche.

Il est fait prisonnier par les Allemands et envoyé au camp de Cassel, en Allemagne, au nord-est de Francfort (aujourd’hui Kassel). Le 22/07/1915, la Gazette des Ardennes, un journal de propagande allemande diffusé dans les territoires annexés, publie son nom dans sa liste des prisonniers de guerre. Il est alors indiqué qu’il se trouve à Rastatt, plus proche de la France, en Bade-Würtemberg. Mais il s’agit en fait d’un camp de passage d’où on répartit les prisonniers. Jean Hyppolyte Joseph n’y a donc séjourné qu’un moment et il est très probable que le 22/07/1915, il soit déjà à Cassel depuis plusieurs mois.

L’entrée du camp de Cassel. Les Anduziens dans la guerre 1914-1918

Le camp de Cassel a été surnommé le « camp de la mort » par les prisonniers, en raison des deux épidémies de typhus qui y sont survenues en 1915, très meurtrières.

Les conditions de vie dans les camps allemands sont difficiles, avec un couchage souvent à même le sol, une alimentation pauvre et des conditions d’hygiène déplorables. Les premiers baraquements de Cassel sont construits seulement fin décembre 1914, auparavant les prisonniers dorment dans des tentes perméables à la pluie. Il semble que le typhus ait été apporté par les prisonniers russes. Il a été véhiculé par la proximité des prisonniers et le manque d’hygiène.  Les épidémies de typhus de 1915 causent 2000 décès dans le camp de Cassel. Au total, le camp accueille 19 000 prisonniers dans sa capacité maximale.

Les prisonniers peuvent recevoir des courriers et des colis, y compris de nourriture. Il semblerait qu’à Cassel, les colis soient distribués intacts et régulièrement par les autorités allemandes. Ce n’est pas toujours le cas, les soldats allemands se servent régulièrement dans les colis. Jean Hyppolyte a donc peut-être pu informer sa famille de son état de prisonnier et recevoir quelques vivres.

Enfin, les conditions des blessés ne sont pas optimales, même si le camp dispose de 2 salles d’opérations et de 4 services de chirurgie. La fiche matricule de Jean Hyppolyte Joseph mentionne que sa fracture à l’épaule a été « vicieusement consolidée de l’humérus gauche au tiers supérieur ». Il s’agit d’un mauvais replacement des os, souvent suite à une blessure mal traitée ou abandonnée. Il en gardera des séquelles puisqu’en 1918, à son retour en France, il sera classé dans le service auxiliaire (à l’arrière du front) pour « limitation considérable des mouvements de l’épaule gauche » et il recevra une pension d’invalidité de 30% à partir de 1920.

L’internement en Suisse

Jean Hyppolyte Joseph est transféré en Suisse le 08/01/1917.

En effet, dès octobre 1914, l’Allemagne et la France passent un accord sous la conduite du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) afin de se débarrasser de leurs prisonniers de guerre blessés, qui représentent un certain coût (malgré les mauvaises conditions dans lesquelles ils sont détenus). Dans un premier temps, de mars à décembre 1915, ces blessés sont transportés dans leur pays, sous l’égide de la Croix-Rouge.

Mais début 1915, afin de relancer son activité hôtelière, la Suisse propose par le biais du CICR d’accueillir les prisonniers blessés ou tuberculeux, en échange d’un financement de leur pays d’origine. La France accepte en février 1915, et l’Allemagne en août. Cet accord concerne les tuberculeux, ceux qui souffrent de graves maladies ou de cécité, ainsi que les amputés et les paralysés. Quelques mois plus tard sont aussi concernés les prisonniers de plus de 48 ans et ceux qui ont passé plus de 18 mois en captivité. Les premiers convois arrivent en Suisse le 26/01/1916. L’accord est ensuite étendu aux autres pays participant à la guerre.

Au total, la Suisse a accueilli près de 75 000 hommes, dont 35 515 Français.

La fiche de prisonnier de guerre de Jean Hyppolyte RONSIN établie par le Comité International de la Croix-Rouge. Archives du CICR, Prisonniers de la Première guerre mondiale

À son transfert en janvier 1917, Jean Hyppolyte Joseph est prisonnier depuis plus de 2 ans. Il est envoyé à Beatenberg, dans le canton de Berne, au bord du lac de Thoune. La ville possède 6 structures d’accueil pour les internés : l’Hôtel du Parc, l’Hôtel Jungfraublick, l’Hôtel Amisbühl, l’Hôtel Bellevue, l’Hôtel Beatus et l’Hôtel Edelweiss. Ils accueillent tous des Français, l’Hôtel du Parc accueille également des Belges. Au 20/12/1917, Beatenberg compte 106 internés français.

Les cartes postales des internés montrent qu’ils sont bien accueillis par les populations et qu’ils vivent dans de bonnes conditions. Ils peuvent travailler, et certains se trouvent même des épouses. C’est le cas de Jean Hyppolyte Joseph, qui se marie le 04/12/1917 à Beatenberg. Il est alors employé d’hôtel, probablement dans l’hôtel où il séjourne. Il épouse Anna Bertha BROGLI, 17 ans, originaire de Möhlin, en Argovie. Elle habite à Beatenberg où elle est vendeuse.

Beatenberg. Suisse Tourisme
Les lieux de détention de Jean Hyppolyte RONSIN pendant la Première guerre mondiale. Les Chroniques du Temps. Réalisé avec Inkscape

Le retour en France et l’après-guerre

Jean Hyppolyte Joseph est renvoyé en France le 23/07/1918. La plupart des prisonniers seront rapatriés seulement après l’armistice du 11/11/1918.

Il est intégré au 79ème puis au 27ème Régiment d’infanterie dès son retour mais il passe la majorité des derniers mois de la guerre à l’arrière du front, à cause de sa blessure.

Après la guerre, il vit entre la Côte-d’Or et la Saône-et-Loire toute proche. N’ayant pas encore retrouvé sa trace à tous les recensements de population, je ne sais pas s’il a vécu en France avec Anna Bertha BROGLI. En 1921 et 1926, ses parents hébergent Yvonne RONSIN, sa fille, née à Beatenberg en 1918. Il est possible qu’Anna Bertha ait été enceinte lors de leur mariage.

En 1926, Anna Bertha BROGLI, qui habite à Lyon, demande à ce que soit faite la transcription de leur mariage à la mairie de Baigneux-les-Juifs. Il est très probable que ce soit dans le cadre des démarches de divorce, car il est prononcé le 26/10/1926 à Chalon-sur-Saône. Leur fille Yvonne va, au moins depuis cette date, résider avec sa mère qui obtient gain de cause dans leur divorce.

Jean Hyppolyte RONSIN habite ensuite, au moins depuis 1936, avec Alexandrine Eugénie Alice LHORISSON, qu’il épouse le 30/11/1938 à Vitry-en-Charollais.

Les sources utiles pour étudier un prisonnier de guerre (Première guerre mondiale)

Sur le parcours d’un soldat (militaire et civil)

Documents d’archives

  • Les fiches matricules militaires, conservées aux Archives départementales (souvent accessibles en ligne) : elles permettent de connaître tout le parcours d’un soldat (campagnes, blessures, détention) et donnent quelques informations complémentaires (lieux de résidence, condamnations judiciaires)
  • Les journaux de marche et opérations des différents régiments, conservés au Ministère de la Défense (accessibles en ligne sur Mémoire des Hommes) : ils peuvent donner des informations complémentaires sur les batailles et les retraites d’un régiment
  • Les recensements de population et les actes d’état civil français, conservés aux Archives départementales (souvent accessibles en ligne)
  • Les actes d’état civil suisses, conservés dans les offices de l’état civil (accessibles sur demande)
  • La presse ancienne (disponible en ligne sur Rétronews)

Sur la captivité en Allemagne et l’internement en Suisse

Documents d’archives

  • Les archives du Comité international de la Croix-Rouge (accessibles en ligne sur le site du CICR) : elles conservent les fiches de prisonniers et des archives concernant les camps de prisonniers
  • La Recherche des Disparus (accessible en ligne sur Gallica) : cette revue de la Croix-Rouge française publiait des listes de disparus entre 1915 et 1917

Sources secondaires

  • Vuilleumier Christophe, Passé Simple, « La Suisse, asile de l’Europe. Les internements helvétiques de la Première guerre mondiale », p. 2-12, 2017 (accessible en ligne sur Academia)

Image principale : Beatenberg

Suisse Tourisme

2 commentaires

  1. Une histoire passionnante et bien documentée, comme je les aime ! Merci Patricia pour cet article !

  2. Toujours très intéressant à lire. Merci pour tous ces renseignements ! Joli travail de recherches.
    F.Ruelle

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